De passage à Lorient pour un colloque sur les écolabels d'où je suis ressorti saturé d'ondes négatives et enrhumé, j'avais décidé de passer la nuit dans ce port décadent aux allures de Mourmansk. Donc pour le repas du soir, direction l'Amphtryon.
D'abord, il faut trouver, sur la route de l'aéroport de Lann Bihoué entre un MacDo ,le Carouff et l'Eléphant bleu, l'Amphitryon. Ensuite on est surpris par le lieu, l'ambiance. Les Abadie ont trouvé leur univers, on est pas chez n'importe qui...Le portrait des proprios dans le style Andy Wahrol trône en grand, au mur. Les couleurs sont "flashy", c'est moderne, coloré, vivant. On nous place à l'étage, dans une petite pièce pour 4 tables, ambiance feutrée, on parle tout doucement, comme le service, pour ne pas gêner ses voisins puisqu'il 'y a pas de musique. Déco superbe, plafond arrondi, découpé, la déco rappelle les fameuses assiettes et vice versa. Joli carte de menu, belle carte des vins, plein de bonnes choses. Nous prendrons le menu "FoLies", il est conseillé un champagne à 178€. Je me contenterai d'un très bon chenin, Savennières la Roche aux Moines, Pierre Soulez, 2000, à 48€.
Prendre ce menu est une erreur, mais pourquoi me dirait vous ? Les menus "voyage", ronde des saveurs, découverte, sont des menus à rallonge où se succèdent des petits plats dans des assiettes allégées. Pas de quoi mettre en avant les talents du cuistot. On est content d'avoir mangé de tout et de n'avoir rien gouté d'extraordinaire en plus si on rajoute les sempiternelles mises en en bouche, pré desserts et autres verrines de tout poil dans ce type d'établissement, on finit par être "soulé".
Voilà c'est dit, j'ai enfin compris, je hais trop de mises en bouche, je hais les menus dégustations. C'est bien fait pour moi, maintenat et dorénavent je prendrai et un joli menu ou à la carte, promis juré.
Alors on mange quoi à l'Amphitryon ?


1ère mise en bouche une petite dinette de saveurs : un gaspacho de tomate , un mini sablé aux algues, une coque, une palourde, un cappucinno d'araignée, une huitre chaude.
2eme Amuse-bouche filet d'anchois mariné, tomates, piment d'Espelette .
1ère entrée "l'étrille comme un cappuccino" quelques morceaux de chair et on vous verse dessus un crémeux et parfumé potage au gingembre et citron vert. C'est bon mais où est l'étrille ?
C'est à ce moment qu'on comprend le cérémonial des assiettes. D'abord vous êtes étonné de la verrerie, ensuite on vous change vos assiettes, normal. Mais entre chaque plat on vous remet une assiette, qui ne sert qu'à faire joli. Quoi qu'on peut aussi en profiter pour gouter le beurre breton et les petits pains maison. Sur la table rien, juste quelques fleurs, arômes, et 2 tubes en verre, sel et poivre, fleur de sel.
2eme entrée les "St Jacques caramélisées, racines et citron de Menton". Cuisson parfaite. Encore de la mousse, Merci à la lécithine de soja ! 1/2 L moitié eau moitié bouillon aromatisé, 2g, on mixe et on récupère une belle mousse de n'importe quoi pour napper le chaud ou le froid.
1er plat "St Pierre à la rhubarbe". Poisson cuit au beurre, ferme, bien. Assiette épurée.
2eme plat "Meunière de bar aux cèpes". Même cuisson ? La purée de cèpes est goûtue, l'assiette est sobre, très sobre. J'ai tout compris, je doute, l'Amphitryon est_il un show room pour l'artisan verrier d'à côté ?
3eme plat "Filet de Chevreuil, pâtes au jus, gelée de coing". Je vous le décrit, j'ai fait la photo quand l'assiette était vide ! Le chevreuil est rosé, tip top, les pâtes 4 coudes Panzani nichés dans une feuille de choux de Bruxelles, le jus façon sauce grand veneur, la gelée de coing. Je ne m'en rappelle pas, agar agar peut-être ? Mais où est donc ce qui va me faire rêver, le tour de main que je ne connais pas, où est passé toute la brigade qui justifie les 118€ du menu. Rien ne m'émeut, je reste triste. Pourtant tout est très bon, tout est parfait, le service est sympa, discret, pas coincé, le lieu magique, le vin est bon...A moins que cela ne soit les ondes négatives de l'après midi, après avoir bouffé du Croustibat de chez Findus, certifié par MSC, adulé par le panda WWF, difficile de retrouver gout à la vie ;o)).
On refuse le fromage, voici donc les desserts.
Et un, "Fines feuilles de grué de cacao parfait caramel". Le dessert une œuvre d'art a lui tout seul. Du travail d'orfèvre, trop de travail...
Et de deux, "Brioche façon pain perdu figues et fruits de la passion, sorbet cactus". Le sorbet est là pour la couleur, on joue sur le contraste avec l'acidité de la mangue, les figues et le pain perdu. Le pain perdu de mon enfance, celui que je faisais sous le regard affectueux, je pense, de maman. Du pain sec en belle tranche, d'abord du lait avec un petit coup de rhum pour le mouiller, puis dans un oeuf battu, un peu de beurre pour le poêler, du sucre cristal pour le parsemer de petites pépites comme des diamants...Celui-là était très bon, comme ces souvenirs !
Il y eu encore les "superflus", pâtes de fruits, bouchée gélatineuses aux fruits de saison. Et là, d'un seul coup, j'ai tout compris. Les Abadie sont des peintres, qui chaque fois reprenne le même tableau. Un espace est vite esquissé, spacieux, ouvert, arrondi. La matière, le fond est posé en couches successives, comme les assiettes en verre, du gris argenté, du vert clair, un mur pourpre qui semble en cuir, un autre couvert d'une matière cotonneuse, comme des nuages d'où surgissent les éclairs d'un orage lointain, un plafond déchiré qui s'ouvre sur la voute céleste, quelques orchidées, des arômes qui surgissent de chapelet de sarment, un sol caoutchouteux qui rend discret le bruit des pas. Plus près on retrouve les assiettes, toutes les assiettes, touches colorées, couches successives, demi assiette, assiette creuse, en pétale, en huitre, comme des feuilles d'arbre géantes, des assiettes qui vous parlent, I love you. Vous êtes dans le monde de l'Amphitryon. Vous êtes un personnage vivant du tableau.
Pas de musique, des chuchotements, rien ne vous perturbe, pas même le contenu des assiettes, on y retrouve le même monde en miniature, par couches toujours la même chose. 2 produits, 2 gouts, quelques feuilles d'épinard, de choux de Bruxelles, c'est tout. Juste 2 produits pour 2 gouts pas de déco, pas d'artifice, tout juste un peu de mousse, comme sur les murs. Dans le monde des Abadies, la ciboullette, la tomate cerise, la poudre de perlimpinpin, n'existent pas, tant mieux ! L'ornementation se mange des yeux, c'est l'assiette.

Finalement ils m'ont donné ce que j'aime, Abadie cuisine comme moi, il m'a renvoyé à ce que je fais, ce que je cherche, le dépouillement et la simplicité. Il m'a fait manger ma cuisine. Là où je voulais qu'il m'étonne, qu'il m'intrigue, qu'il me surprenne, qu'il viole mes convictions, il m'a renvoyé à ce que je désire, un monde beau et harmonieux où calme et volupté se retrouvent dans des assiettes simplissimes qui magnifient un produit sans le dénaturer de quelconques artifices.
Depuis, je doute, tiens-je le bon cap ?...